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Les Pistolois en beau fusil 0 Ne touchez pas à ma rivière !
N° 214 - novembre 2002

Une ZLÉA sur le modèle d’un poulailler
Gaétan Breton
À nouveau, le Canada vient d’être condamné en vertu du chapitre 11 de l’ALENA. Cette fois, le gouvernement canadien devra verser 8,2 millions $ à la compagnie S.D. Myers pour lui avoir interdit pendant une courte période de temps l’exportation de déchets contenant des BPC.

On serait porté à croire que le Canada s’est fait passer un sapin avec le chapitre 11 qui limite les pouvoirs d’intervention du gouvernement canadien à l’endroit des multinationales américaines et va chercher à ce qu’il ne soit pas reconduit dans la future Zone de libre échange des Amériques (ZLEA). Mais, attention, nous dit un des négociateurs canadiens dans le dossier 0 « Il y a beaucoup plus d’investissements canadiens dans les pays de la Zone du libre-échange qu’il y a d’investissements de ces pays-là au Canada et notre intérêt est de nous assurer que nos investissements seront traités de façon équitable ».

Autrement dit, les entreprises canadiennes veulent pouvoir servir aux pays latino-américains la même médecine que celle que nous administrent les États-Unis. La future Zlea va fonctionner sur le modèle de la hiérarchie dans un poulailler. La première poule peut picosser toutes les autres poules. La deuxième se fait picosser par le première, mais peut picosser toutes les autres, et ainsi de suite.

Tout cela nous incite à revoir sous un nouvel éclairage l’attitude du Canada dans le dossier fort popularisé à l’époque du MMT dans l’essence par Éthyl Canada, une filiale d’une compagnie américaine.

Le MMT dans l’essence

Au Canada, la plupart des entreprises pétrolières ajoutaient du MMT dans l’essence pour en augmenter l’indice d’octane. Il existe des produits substituts. Ce produit était fourni, du moins dans l’Est du Canada, par une filiale d’une compagnie américaine qui s’appelle Ethyl Canada.

Plusieurs études ont été faites au cours des années sur la nocivité des produits à base de manganèse et principalement du MMT sur la santé des gens, surtout qu’à travers l’essence, le produit est respiré, en plus ou moins grandes quantités, par tous les Canadiens. À un moment donné, les pressions environnementales se sont faites plus pressantes et la ministre de l’époque, Sheila Copps, s’est vue forcée de faire des déclarations et d’y donner suite. Les recommandations des dernières études étaient claires, il fallait cesser d’ajouter du MMT à l’essence.

Une loi étonnante

Naïvement, nous nous serions attendus à une loi sur l’environnement qui aurait interdit d’ajouter du MMT dans l’essence. À ce moment-là, les attaques auraient porté sur le fond et non sur la forme. Ce que le gouvernement a adopté, à la place, est une loi sur l’importation et le transport inter-provincial des MMT. Ce faisant, ses raisons devenaient accessoires et sa loi contrevenait directement à la libre circulation des marchandises et au libre commerce.

On dirait que le gouvernement fédéral a délibérément saboté sa propre loi. Dès qu’on en regarde le titre, Loi régissant le commerce interprovincial et l’importation à des fins commerciales de certaines substances à base de manganèse, on voit déjà, même sans être un spécialiste de la question, que plusieurs des éléments contenus dans le chapitre 11 de l’entente sont remis en question.

Premièrement, le traitement le plus favorable, qui consiste à concéder aux entreprises étrangères un traitement égal à celui qui prévaut pour les entreprises locales, dans le pays qui donne le meilleur traitement. Deuxièmement, l’interdiction d’expropriation qui tient au fait qu’un pays signataire ne peut pas exproprier une entreprise étrangère du seul fait de sa nationalité.

Enfin, troisièmement, l’impossibilité d’accorder des avantages aux produits locaux, ce qui signifie que le pays signataire ne peut imposer un taux de contenu local dans les produits et acheter ou imposer l’achat de préférence, d’un produit local plus cher ou moins performant compte tenu du prix.

Le sommaire de la loi dit 0 « Le texte interdit le commerce interprovincial et l’importation à des fins commerciales de certaines substances à base de manganèse lorsque celles-ci sont destinées à être ajoutées à de l’essence sans plomb. Le ministre peut toutefois autoriser de telles activités lorsque les substances visées doivent servir à d’autres usages. Le cas échéant, les détails de ces activités doivent être enregistrés et communiqués au ministre. »

Il s’agit clairement d’une entrave au commerce et non pas d’une protection de la santé des citoyens. Le gouvernement du Canada est-il si mal pourvu en personnel juridique pour que de telles erreurs arrivent ? En faisant ça, la compagnie Ethyl ne pouvait plus faire des affaires au Canada. Cela revenait à dire qu’on expropriait la compagnie sans compensation.

Qui plus est, ce faisant, on n’interdisait pas, en principe, d’ajouter du MMT dans l’essence. Autrement dit, si à partir d’une source en Ontario on avait fabriqué ce produit, il aurait pu être ajouté dans toute l’essence raffinée en Ontario puisqu’il n’aurait ainsi franchi aucune frontière. La requête de la Compagnie Ethyl fait justement état de ce fait 0 « Le gouvernement du Canada a choisi de restreindre l’usage du MMT d’une façon bien particulière. Il n’a pas explicitement ou directement banni l’usage du MMT dans la gazoline; le gouvernement du Canada a plutôt interdit son importation et son transfert entre les provinces. Un manufacturier local, s’il y en avait, pourrait manufacturer et distribuer le MMT pour le mettre dans la gazoline, à l’intérieur de la province, sans violer le Bill C-29. Donc, le Bill C-29 exige que le MMT soit manufacturé et distribué uniquement à l’intérieur des provinces. »

Une question se pose encore. Est-ce que le gouvernement fédéral a le pouvoir d’intervenir sur le plan environnemental ? Les questions de partage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces sont toujours difficiles à trancher. Cependant, sur le site web d’Environnement Canada, on décrit le but de la loi sur la protection de l’environnement (C15.31) en ces termes 0 « La loi canadienne sur la protection de l’environnement a été révisée afin de favoriser le développement durable au moyen de mesures de préventions de la pollution et de protéger l’environnement et la santé humaine des risques associés aux substances toxiques ». Donc, il semble que la protection de la santé contre le MMT tombe en plein dans le mandat de la loi protégeant l’environnement.

Une attitude douteuse

Il est difficile de conclure après cette histoire. L’Aléna est une constitution au-dessus de la constitution, n’en doutons pas. Cependant, l’attitude du gouvernement fédéral dans cette histoire est plus que douteuse. Le gouvernement a négocié cette entente. Les conservateurs nous l’ont fait avaler en douce et le gouvernement libéral, en dépit de ses promesses, n’a rien changé du tout dans ce qui avait été signé. Un fait demeure pourtant. Les grandes entreprises commerciales limitent le pouvoir des États et instaurent des institutions antidémocratiques sans légitimité réelle et si le Canada est si conciliant à l’égard des États-Unis, c’est peut-être parce qu’il veut appliquer la même médecine aux pays latino-américains.

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