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Une autre voie N° 301 - juillet 2011 |
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Un conflit que récupéreront les chantres de la privatisation
Les clauses orphelines sont l’enjeu des négociations Maude Messier |
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À la veille du débrayage des syndiqués de Postes Canada, l’aut’journal a rencontré le président de la section locale de Montréal du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), Alain Duguay. Déjà, dans le petit local de la rue Lajeunesse qui sert de quartier général des opérations, on pouvait sentir que tout était fin prêt pour faire face au conflit de travail imminent. Rappelons que le STTP a déposé le 30 mai dernier une offre qu’elle qualifiait alors de globale et finale à l’employeur, de même qu’un préavis de 72 heures avant le déclenchement d’une grève, tel qu’exigé par le Code canadien du travail. Aucune entente n’étant survenue entre les parties à la suite de ce dépôt, une grève a été légalement déclenchée le jeudi 2 juin*. Résumer l’ensemble des enjeux de ce conflit de travail aux augmentations de salaires est réducteur. Alain Duguay n’est toutefois pas surpris que Postes Canada, au moyen de communiqués et de déclarations, s’applique à discréditer les demandes syndicales, à véhiculer des chiffres qu’elle est incapable de justifier par la suite et à circonscrire le discours autour de la question des salaires. « Ça fait des mois qu’on fait valoir que l’enjeu de ces négociations, c’est la santé et la sécurité des travailleurs, l’augmentation des effectifs, la mise en place d’une assurance invalidité de courte durée. Il y a aussi la question de l’instauration de disparités de traitement avec les nouveaux employés, des demandes qui s’apparentent à des clauses orphelines. » D’abord, le manque d’effectifs dans certaines succursales entraîne une surcharge de travail qui occasionne un nombre effarant d’heures supplémentaires et pose des problèmes de livraison de courrier. De plus, l’implantation de la poste moderne, au coût de 2 milliards $, force également l’instauration de nouvelles méthodes de travail, occasionnant de sérieux problèmes de santé et de sécurité pour les travailleurs. Loin de s’opposer aux changements technologiques, le syndicat est plutôt d’avis que ces modifications doivent s’accompagner d’études ergonomiques pour sécuriser les méthodes de travail et protéger les travailleurs, ce qui n’est pas le cas actuellement. « On négocie des méthodes de travail pour les 25 prochaines années. La nouvelle Poste, ce sont les plus gros changements depuis l’implantation du code postal dans les années 1970. » Le véritable enjeu de ces négociations, c’est l’instauration de clauses de disparités de traitement. Postes Canada souhaite réduire de 22 % les taux de salaire des futurs employés et créer un régime de retraite et d’avantages sociaux à deux paliers, divisant les employés réguliers à temps complet actuels et les employés temporaires, de même que les futurs employés. Une pratique complètement inadmissible, inéquitable et injustifiable aux yeux du syndicat, d’autant plus que Postes Canada a connu une année record en 2009 et enregistré des profits nets de 281 millions $, sans compter que la transformation postale devrait générer des économies de 250 millions $ en productivité. Les négociations s’enlisent depuis plus de sept mois et l’intransigeance de Postes Canada, campée sur ses positions initiales, n’aide en rien pour faire avancer les choses, selon Alain Duguay. Des employés de différentes succursales ont décidé de porter des jeans plutôt que leur uniforme de travail en guise de moyen de pression. « Eh bien !, l’employeur a pris des mesures discrétionnaires contre ces employés, qui écoperont de trois jours de suspension fermes, certains pourraient même en subir six. » Suite au dépôt du préavis le 30 mai, l’employeur allègue même ne plus avoir à reconnaître la convention collective et s’en remet exclusivement au Code canadien du travail, ce que conteste vivement le STTP. « Ça se traduit par des conséquences importantes pour nos membres. Les assurances ne se paient plus, il n’y a plus de temps syndical reconnu, les délégués ne sont plus reconnus par l’employeur. » Postes Canada s’apprête même à réduire temporairement la livraison du courrier à trois jours par semaine, même dans les régions qui ne sont pas touchées par la grève rotative, ce qui se traduit en pertes d’heures de travail pour nombre de travailleurs. Le syndicat estime pour sa part qu’il s’agit plutôt d’une forme de lock-out. N’en déplaise à certains, dans pareil contexte de négociation, la grève constitue le tout dernier recours du syndicat pour mettre de la pression sur l’employeur et le forcer à négocier. « Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on en arrive là. Personne ne souhaite la grève. Ce qu’on veut, c’est un règlement négocié. » Réaliste, le syndicat sait bien qu’en bout de ligne, c’est le gouvernement qui a le gros bout du bâton, pouvant forcer le retour au travail par l’imposition d’une loi spéciale, comme ce fut le cas en 1997 après deux semaines de débrayage. Pour certains, le service postal public doit faire face à la concurrence des entreprises privées, s’adapter au marché et réduire ses coûts d’opérations. Si Postes Canada affirme que les volumes de courrier sont à la baisse, le STTP soutient qu’ils sont toujours supérieurs de 10?% à ce qu’ils étaient il y a dix ans, notamment en raison de la hausse du volume des colis et du publipostage direct. « C’est pour ça que nous, on dit qu’il faut plutôt investir dans de nouveaux services, comme étendre la livraison à domicile, plutôt que de couper dans les services aux citoyens. » Parce qu’au-delà même des revendications syndicales en ce qui concerne les conditions de travail, le STTP estime que c’est bel et bien l’avenir du service postal public qui se joue dans cette négociation. Déjà, ce conflit sert bien les chantres de la privatisation pour remettre en question la pertinence du service postal public. Certes, la tenue d’une grève ou d’un lock-out des Postes entraîne des conséquences à grande échelle. À noter toutefois que, depuis la grève de 1991, à la demande du syndicat, des ententes provinciales sont conclues de façon à maintenir la distribution de certains chèques d’assistance sociale. Les chèques du mois de mai ont été livrés d’avance et une autre livraison est prévue le 20 juin. Le reste du courrier sera retenu et sécurisé par Postes Canada. Chose certaine, si ce conflit ne fait évidemment pas l’affaire de tous, le syndicat rappelle qu’il détient un mandat très fort de ses membres, qui se sont prononcés à 94,5 % en faveur de la grève en avril dernier. Rappelons que ce conflit concerne 48?000 travailleurs et travailleuses partout au Canada, dont près de 11?000 au Québec. *Au moment d’aller sous presse, les syndiqués subissent un lock-out. |
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