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La petite fée des PPP
N° 235 - décembre 2004
Dans la démocratie est souverain qui contrôle la communication
Télé-Québec ou le pari perdu
Victor-Lévy Beaulieu
Quand Télé-Québec vint au monde, nous fûmes nombreux à nous montrer optimistes : enfin, nous l’aurions notre télévision nationale et ça serait pour la première fois sans ambiguïté politicienne comme Radio-Canada en faisait la preuve presquement tous les jours, jouant du bâton et de la carotte pour que les méchants séparatistes n’y soient assis qu’entre deux chaises, ce qui permettait de les mieux contrôler au nom de l’unité canadienne.

Rue Fullum, nous serions désormais chez nous, bien installés dans notre imaginaire et dans notre volonté de libération, maîtres d’une culture qui, en plus de faire plein d’étincelles chez nous, serait exportable, dans toute la francophonie d’abord, et pourquoi pas, partout aussi dans le monde ? On ne se gênerait pas pour voir loin et beau puisque tout paraissait faisable, donc possible. Partis pour la gloire, comme disait l’autre, même en régions où de nombreux bureaux furent ouverts. Que d’excitation pour les jeunes producteurs qui rêvaient de travailler de chez eux plutôt que de devoir déménager à Montréal ou Québec !

Mais si le projet était passionnant, on oublia en haut-lieu que la tête et les pieds ne suffisent pas : pour que ça devienne réalité, une colonne vertébrale est essentielle. Cette fameuse colonne a toujours manqué à Télé-Québec, les politiciens péquistes et libéraux manquant trop de couilles pour lui en donner une. Tandis que Lisa Frulla, ministre de la Culture et des Communications, exigeait d’Ottawa les pleins pouvoirs dans ces deux champs d’interventions gouvernementales, on commençait déjà à sabrer dans Télé-Québec : compressions budgétaires, coupures dans le personnel et démantèlement des bureaux régionaux.

Disparurent des grilles-horaires les grands documentaires québécois, les oeuvres de fiction, populaires comme celles qu’y scénarisait Janette Bertrand, ou plus expérimentales comme celles des téléfilms écrits par de jeunes auteurs et produits par de jeunes réalisateurs. Sous le régime de Lucien Bouchard, l’obsession du déficit Zéro tua littéralement Télé-Québec. Plus rien ne la différenciait des autres télévisions, sinon une pauvreté endémique avec laquelle Télé-Québec est toujours aux prises avec et dont personne, semble-t-il, ne veut la voir sortir.

Quand on en est rendus là, comment doit-on réagir ? En politiciens évidemment, par audiences publiques dont veulent profiter les grands lobbies comme celui de l’Éducation pour dénaturer complètement Télé-Québec. Si on donnait suite aux idées que défendent ces grands lobbies, le rôle du gouvernement se réduirait à un simple droit de gérance, les producteurs privés se retrouvant sous la tutelle des fonctionnaires du ministère de l’Éducation qui auraient carte blanche pour décider de la politique du télédiffuseur.

Nous voilà donc à mille lieues d’une télévision véritablement nationale, qui était l’esprit même de la loi qui a donné naissance à Télé-Québec. Quel gâchis ! Et quelle démission de la part de nos élites politiciennes et du bon peuple que nous sommes ! Dans la démocratie moderne, est souverain celui qui contrôle la communication. De ce bord-là des choses, nous sommes une terre colonisée puisque ne nous appartiennent pas aucun de nos grands médias électroniques d’information, de culture et de divertissement. Pour contrer une telle aberration, on a créé Télé-Québec et, pendant un temps, favorisé l’émergence de journaux, de radios et de télévisions communautaires, qui constituaient les fondations sur lesquelles peut s’établir une information vraiment nationale.

Au milieu des années 80, j’ai eu le plaisir de faire pour Le Devoir une tournée presque partout au Québec, et je fus étonné par ce que je lisais, entendais et voyais : de jeunes journalistes engagés qui n’avaient pas peur de revendiquer, de critiquer et de proposer pour notre société de nouveaux modèles de développement social et culturel, dans une liberté qui était belle à lire, à entendre et à voir.

Ce fut pourtant sous un gouvernement du Parti québécois qu’on mit la hache dans l’essor des médias communautaires. On leur coupa les vivres pour une seule raison : on craignait en haut-lieu d’être débordés par cette nouvelle gauche pour laquelle le pouvoir n’était qu’un moyen et non pas une fin en soi. Le ressentiment est d’abord venu des élites municipales qui pensaient que l’information leur appartenait en propre et qui n’acceptaient pas d’être critiqués plutôt vertement par de jeunes blancs-becs entreprenants et revendicateurs. Ces élites municipales s’allièrent au Parti québécois et firent disparaître tous les médias communautaires qui faisaient preuve d’engagement.

On a pas fini de payer le coût social d’une pareille tragédie. En fait, on ne pourrait y arriver qu’en revenant à l’an premier des choses, quand on voulait faire de Télé-Québec l’expression de notre différence. Cette différence-là est culturelle, sociale et politique. Tant et aussi longtemps que nos politiciens et les dirigeants de Télé-Québec ne l’admettront pas, on parle en vain de relance, de repositionnement, de nouvelle programmation et de n’importe quoi d’autre, on tourne en rond et ce n’est même pas autour de nous-mêmes. On laisse aussi Télé-Québec s’étioler et survivre, avec toutes les aberrations que cela suppose. Par exemple, on télédiffuse les débats du Parlement québécois avec une journée de retard parce que la route qui mène de Québec à Montréal est trop longue pour que ça puisse se faire dans la même journée !

Pour apaiser la colère des régions dont on ne s’occupe plus, on met à l’horaire Méchant contraste !, mais en prenant soin d’en faire une émission de facture montréaliste : un nerd branché du plateau Mont-Royal l’anime, le réalisateur utilise tous les gadgets modernistes de la télévision du clip pour mieux nous faire croire qu’on est ailleurs, et l’on s’imagine que d’y saupoudrer quelques images bucoliques rend compte de la réalité régionale. C’est là un point de vue citadin qui, plutôt que de contribuer à une meilleure connaissance de la ruralité, la dénature absolument.

Comme on voit, la côte à remonter pour Télé-Québec est plutôt raide. Je dirais même qu’en l’État actuel des choses, il s’agit plutôt d’un pari perdu, par la faute d’un pouvoir velléitaire, de l’indifférence des médias et de la fatigue des régionalistes qui n’en peuvent plus de se battre et de se débattre dans un système où ils continuent toujours d’avoir la plus mauvaise part.

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