Dans le cadre de leur grande redéfinition du rôle de l’État québécois, les libéraux de Jean Charest affirment agir par souci d’efficacité. Curieusement, ils ont choisi l’un des secteurs où le système public était le plus efficace, soit l’immobilier, pour appliquer leur régime de partenariats public-privés.
La Société immobilière du Québec (SIQ) voit son rôle réduit considérablement, alors que le gouvernement propose aux Québécois de devenir dépendants du secteur privé pour tout ce qui touche aux immeubles gouvernementaux, allant même jusqu’à proposer la construction d’une prison en PPP dans la région de la Montérégie.
À titre de président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ), Michel Hubert est bien placé pour connaître les besoins de l’État en terme de prisons. Pour lui, la pertinence même de construire un nouvel établissement reste à démontrer. « Le besoin est-il vraiment là ou est-ce qu’on veut seulement faire plaisir à des amis du Parti libéral ? Le Québec ne fait pas énormément d’enfants, la population carcérale vieillit et devrait donc diminuer éventuellement. Je ne sais pas où le gouvernement va chercher ses chiffres pour dire que ça prend un nouveau centre de détention. »
Même si le système carcéral s’avère vraiment en manque de locaux, le syndicaliste s’oppose à l’entrée de l’entreprise privée dans ce domaine, où la course aux profits pourrait s’avérer dangereuse. « Actuellement, au maximum de l’échelle salariale, après 12 ans, nous gagnons 20,59 $ l’heure, explique-t-il. Pour faire son profit, le privé va être obligé de baisser les salaires tout en continuant de charger assez cher au gouvernement. Je suis très confiant que nous arriverions à syndiquer les gens du privé, mais à 15 $ l’heure pour travailler avec une clientèle contrevenante, la corruption va s’installer. Il sera plus facile pour le crime organisé de contrôler ou soudoyer ces agents qui seront moins payés, moins formés, non valorisés et non reconnus. »
Michel Hubert ajoute qu’aux États-Unis, pour arriver à faire des profits, les prisons privées ouvrent de grands ateliers de travail où les prisonniers sont payés entre deux et trois dollars l’heure. « Le code du travail ne s’applique pas en prison », rappelle-t-il. Ces établissements ont aussi un autre effet pervers : ils provoquent une augmentation du taux de chômage aux alentours, en offrant en sous-traitance plusieurs travaux que les travailleurs de la région réalisaient auparavant. Difficile de concurrencer une prison-usine qui dispose d’une main d’œuvre abondante non-couverte par le code du travail.
« J’aimerais bien mieux avoir de bonnes mesures de réinsertion sociale et un taux de récidive à la baisse que des établissements qui font de l’argent avec les prisonniers et qui veulent seulement les voir revenir en prison pour faire encore de l’argent avec eux », affirme M. Hubert. Il cite d’ailleurs l’exemple du gouvernement ontarien, qui songe à nationaliser la prison privée construite par Mike Harris il y a quelques années.
L’éventuel centre de détention n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la nouvelle orientation du gouvernement Charest en matière d’immobilier. La Société immobilière du Québec, responsable des édifices gouvernementaux, a été choisie comme l’un des fers de lance du virage PPP des libéraux. Ces derniers ont d’abord limogé l’ancien p.d.-g. de la SIQ, Daniel Gilbert, pour le remplacer par un ami du régime, Marc-André Fortier.
La société d’État a ensuite carrément aboli sa vice-présidence construction. Plusieurs employés se sont aussi vu offrir des primes de départ. « Ils sont en train de dilapider notre expertise, se désole Serge Genest, président du Syndicat des employés de la SIQ. Quand les gens vont s’apercevoir qu’ils se font avoir, nous n’aurons plus l’expertise en construction accumulée depuis plus de 30 ans. »
En plus de cesser tout projet de construction, les dirigeants de la SIQ proposent maintenant la vente de plusieurs immeubles détenus par l’État et l’instauration de PPP pour la gestion de plusieurs autres. Déjà les grands gestionnaires immobiliers comme SNC-Lavalin ProFac et Brokfield LePage Johnson Controls salivent devant l’immense magot sur lequel ils entendent mettre la main.
Pourtant, la possibilité pour la SIQ d’être propriétaire d’une partie de son parc immobilier, et de pouvoir acquérir ou construire les immeubles dont elle a besoin comme solution de rechange à la location du secteur privé, lui conférait depuis longtemps une position extrêmement avantageuse lors de la négociation des baux de location avec ce dernier.
« Nous avions un levier énorme pour négocier les baux à leur juste valeur », explique Serge Genest. Avec la nouvelle orientation, le gouvernement devient un locataire comme les autres, à la merci des promoteurs immobiliers.
Le syndicat des employés se pose maintenant la question. Pourquoi remettre en question un modèle qui fonctionnait si bien ? Serait-ce parce que la SIQ, trop efficace, faisait une concurrence jugée « déloyale » aux entreprises privées avides de profits ?
En effet, le loyer moyen que doivent payer les ministères et organismes gouvernementaux occupant des immeubles dont la SIQ est propriétaire est inférieur de 2,50 $ par mètre carré à celui payé par ces mêmes ministères et organismes lorsque la SIQ n’est que locataire d’un immeuble appartenant au privé.
Au total, si on inclut tous les frais (coût de base, frais de gestion, frais d’entretien et de conservation et coûts de financement), chaque mètre carré des immeubles de la SIQ mis à la disposition des ministères et organismes gouvernementaux revient à 159,80 $ seulement. Quand la SIQ doit louer des bureaux à l’entreprise privée, le coût grimpe à 175,20 $. Il va sans dire que tous les bénéfices réalisés par la SIQ sont au profit de son seul actionnaire, le gouvernement du Québec.
Une autre façon de mesurer l’efficacité de la société d’État comme gestionnaire du parc immobilier du gouvernement du Québec est le taux de vacance. Pour un parc immobilier de près de 3 millions de mètres carrés, la SIQ affiche un taux de vacance d’à peine 1 %. À titre de comparaison, le taux de vacance dans les immeubles de propriété et de gestion privée atteignait près de 14 % à Montréal en 2003.
« Avec leurs projets de PPP, tout le monde se fait avoir. Ça ne tient pas la route, mais c’est une mode, une tendance. Ils embarquent là dedans malgré les performances exceptionnelles que la SIQ affichait », déplore Serge Genest.
À long terme, l’idée d’un État locataire ne peut pas être rentable pour la population du Québec, explique-t-il. « Si on prend l’édifice du Revenu, où nous sommes locataires depuis 25 ans, et qui loge 4000 fonctionnaires, le gouvernement a dû payer plusieurs fois la valeur du bâtiment en loyers. » La SIQ devait d’ailleurs construire un nouvel immeuble pour y installer ces bureaux, à D’Eskimoville, mais le projet a été mis sur la glace par les libéraux.
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