La thèse de Mme Richard, et la démarche de SPQ Libre d’ailleurs, se réclame du réalisme politique. Elle part de la présomption qu’il n’y aura probablement pas de scrutin proportionnel instauré à temps pour les prochaines élections prévues pour 2007. Elle en conclut que de petits partis progressistes, comme l’UFP et Option citoyenne, même fusionnés, subiront inexorablement le sort réservé aux tiers partis par le mécanisme du scrutin majoritaire uninominal à un tour dont la colonie canadienne a hérité du conquérant anglais en 1791. Elle invite donc ces derniers à suivre l’exemple de SPQ Libre et à devenir des clubs politiques au sein du Parti québécois.
La reconnaissance de plusieurs autres clubs politiques (écologiste, altermondialiste, etc) deviendrait ainsi l’assise sur laquelle pourrait « s’édifier la grande coalition souverainiste nécessaire pour que le Québec accède à l’indépendance nationale » et qui permettrait de transformer le PQ en un parti progressiste. Ce serait « l’alternative » pour la gauche indépendantiste qui verrait ainsi son autonomie politique et organisationnelle préservée. Une première réaction : ce genre de conception du réalisme politique permet de confondre commodément les principes et les objectifs de l’action avec ses instruments et ses moyens. Mais l’histoire politique des dernières décennies au Québec laisse plutôt prévoir l’échec d’un pari semblable, comme le souligne avec justesse Jacques Pelletier dans le dernier numéro de la revue Possibles.
Ce genre de raisonnement me ramène à l’esprit la fable du pot de fer et du pot de terre de mon adolescence. Je suis étonné que d’ex-syndicalistes, rompus à l’exercice du rapport de force dans les négociations avec les patrons, n’aient pas eu le réflexe de transposer leur expérience dans le contexte politique qui est pourtant soumis à une réalité semblable. Cela me ramène aussi à l’élection de 1989 alors que le Parti vert avait obtenu des résultats intéressants faisant même perdre quelques circonscriptions au PQ.
Comment ont réagi les dirigeants péquistes ? Ils ont fait la cour au chef de ce parti qui avait des dons d’organisateur et l’ont amené dans leur camp. Le Parti vert désorganisé et en proie aux dissensions s’est dissous et, à l’élection de 1994, le PQ a remporté les circonscriptions qui lui avaient échappé à cause de la désertion des militants écologistes. Quand à l’ex-chef il a été mis sur une tablette aussitôt les élections passées et a été marqué au fer rouge par la suite dans son milieu de militance originel. Je ne vois pas en quoi cet épisode pas très glorieux a fait avancer la cause environnementaliste au Québec, ni la cause souverainiste d’ailleurs.
Mais pour le besoin de la cause, fonctionnons dans la logique « réaliste » de Mme Richard et privilégions le scénario le plus optimiste : SPQ Libre réussit à faire adopter quelques modifications progressistes au programme du PQ au congrès de juin 2005 puis à faire accepter des candidats dans quelques circonscriptions « prenables ». Le PQ revient au pouvoir en 2007 en faisant élire aussi quelques SPQ libristes dont un ou deux sont nommés ministres, donc désormais liés par la solidarité et le secret ministériels.
En quoi cela permettrait-il aux forces progressistes souverainistes d’occuper la place qui leur revient sur l’échiquier politique québécois ? En quoi l’action du SPQ Libre pourrait avoir un effet structurant pour l’avenir de la gauche au Québec alors que tout se résume pratiquement à la carrière de quelques personnes ? C’est le cas de tous ceux qui, présumant de leur force individuelle, ont voulu réformer des organisations qui les ont vite avalés. Les exemples sont multiples à commencer par celui des « trois colombes », Trudeau, Marchand et Pelletier, des sociaux-démocrates qui sont allés faire carrière à Ottawa au Parti libéral, mais n’ont pas transformé d’un iota même s’ils l’ont dirigé sinon pour le rendre plus nocif envers le Québec.
Mais continuons à lire dans notre boule de cristal rose. Au pouvoir, le PQ déclenche un référendum constitutionnel qu’il remporte, disons, avec 52 % d’appuis à cause d’une conjoncture temporairement favorable et grâce à quelques astuces apprêtées à la sauce Parizeau-Lizée.
Mais, six mois plus tard, la conjoncture n’est plus aussi favorable et les sondages démontrent que l’appui à la souveraineté a subi une chute appréciable sous les assauts répétés des défenseurs du statu quo où se retrouvent naturellement le gouvernement fédéral et les partis fédéralistes, le patronat et ses ramifications et surtout les médias et leurs éditorialistes mercenaires qui, chaque jour, feront subir à la population de plus en plus désemparée un véritable lavage de cerveau.
Les souverainistes, eux, étaient tellement pressés d’avoir leur Québec souverain qu’ils n’ont pas pris le temps ni accompli les efforts nécessaires pour mobiliser vraiment la population qui constitue pourtant leur seul rempart contre la résistance des forces du statu quo. J’en conclus que la démarche à suivre pour se donner un Québec souverain viable sera longue et exigeante de la même façon que pour se donner un parti souverainiste de gauche. Mais c’est un pari collectif exaltant qui transcende les carrières politiques de quelques individus.
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