Ça fait longtemps qu’on en a pas décousu avec une multinationale, mais on est prêt à se faire les dents. Ils vont s’apercevoir qu’on peut être des pitbulls », a déclaré Henri Massé, en appui aux travailleurs de l’Alcan, lors d’une conférence de presse fort courue au dernier congrès de la FTQ.
Le président de la centrale faisait part aux journalistes d’une décision adoptée à l’unanimité par le congrès qui demande au gouvernement du Québec de garantir « que toute l’énergie hydroélectrique privée produite par l’Alcan au Saguenay Lac-St-Jean serve uniquement au développement industriel. »
Claude Patry, le président du Syndicat de l’Alcan (SNEEA-TCA-FTQ), considère que l’Alcan « a rompu le pacte avec la région le 22 janvier 2004 », lorsqu’elle a annoncé la fermeture, dix ans plutôt que prévu, des cuves Soderberg et le licenciement de 550 travailleurs, sans annoncer la construction d’une usine de remplacement.
Rappelant la perte de 3 000 emplois depuis 1980 et l’incertitude qui plane sur l’avenir du complexe Jonquière, encore 3 000 emplois, Luc Desnoyers, le directeur québécois des TCA, a déclaré qu’il y avait « une limite à permettre qu’une compagnie qui se désengage ainsi de ses responsabilités puisse continuer à bénéficier des mêmes privilèges pour accroître son seul enrichissement. »
Ce qui est dans la mire des organisations syndicales, appuyées par toute la population de leur région, ce sont les privilèges consentis à l’Alcan en 1962, lors de la nationalisation de l’électricité. Les installations de l’Alcan, qui représentaient plus du quart du potentiel hydro-électrique du Québec, ont échappé à la nationalisation en échange de l’engagement de la compagnie à utiliser ces ressources pour la production d’aluminium.
Aujourd’hui, l’Alcan possède six centrales hydro-électriques au Saguenay-Lac-Saint-Jean et 44 barrages. Selon Alain Proulx, le représentant régional des TCA, l’Alcan trouve aujourd’hui « plus rentable de fermer ses usines de production d’aluminium pour exporter son électricité aux États-Unis. »
Les syndicats ont fait faire différentes études qui démontrent que le marché de l’aluminium est toujours en pleine expansion et que la production en Amérique du Nord est en déficit de plus d’un million de tonnes. Chiffres à l’appui, ils démontrent que le coût moyen de la production d’aluminium est moins élevé qu’en Chine, contrairement aux prétentions de la compagnie, et que dans la plupart des autres pays du monde. En fait, 76,4 % de la production d’aluminium du monde est plus coûteuse que le coût moyen au Québec.
Aussi, les syndicats contestent les motifs évoqués par Jean Simon, le représentant de l’Alcan au Québec, qui déclarait récemment au journal La Presse « Alcan ne grandira plus au Québec. La production de l’aluminium se déplacera là où les coûts de production sont moins élevés. »
Les représentants syndicaux soupçonnent les dirigeants de la multinationale d’être atteints de la fièvre financière qui limite leur horizon à une planification de « 90 jours pour rapporter le plus gros profit le plus rapidement possible à leurs actionnaires », comme le déclarait Claude Patry en rappelant le salaire scandaleux de 19,8 millions $ touché l’an dernier par Travis Engen, le président d’origine américaine de la compagnie.
« Nos enfants quittent la région, faute de jobs. Il faut que cela cesse. L’énergie produite au Québec doit servir à créer des emplois au Québec », ajoute Alain Proulx. Il rappelle que le gouvernement du Québec a alloué 500 mégawatts à un prix de 37 $ le mégawatt à l’aluminerie Alouette en 2002 en exigeant la création de 1 350 emplois directs.
Si on applique la même logique au Saguenay-Lac-Saint-Jean, disent les syndicats, c’est 10 205 jobs qu’on devrait exiger de l’Alcan, étant donné qu’elle bénéficie de 2 240 mégawatts au bas prix de production de 12 $ le mégawatt. « On est loin du compte, précise Claude Patry. Il y a présentement un déficit de plus de 3 600 emplois. »
« Allez-vous exiger qu’on complète la nationalisation de l’électricité de 1962 avec les installations de l’Alcan », avons-nous demandé à Henri Massé. « Nous n’en sommes pas là », nous a-t-il répondu. Mais devant l’intransigeance de l’Alcan et la colère de la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean, il y a fort à parier que la question va rapidement se poser.
En demandant que l’énergie de l’Alcan serve au développement industriel, au moment où le premier ministre Charest annonce son intention d’augmenter les exportations d’électricité vers les Etats-Unis, les travailleurs soulèvent un débat qui déborde largement le cadre de leur région. C’est le projet économique du Québec qui est posé.
|