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Le sous-commandant Parizos N° 200 - juin 2001 |
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Médecins avec frontières François Parenteau |
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Une façon de s'inspirer de l'actualité pour faire le comique est de faire ce que j'appelle de la paranoïa appliquée. N'étant pas journaliste et n'ayant pas à faire preuve d'objectivité et de mesure ni semblant de, un humoriste peut lancer les hypothèses de complot les plus saugrenues, et s'il fait bien son travail, en plus de déclencher les rires, il fera fuser quelques 0 « Hey, c'est pas si fou que ça… » À titre d'exemple, au fil des ans, j'ai émis l'idée que les crèmes solaires pouvaient donner le cancer de la peau plutôt que de le prévenir; que le traversier Estonia qui avait coulé en mer Baltique en 1994 avait été saboté par la compagnie de l'Eurotunnel qui connaissait alors de graves difficultés financières suite à des accidents pendant les travaux sous la manche; que toute l'affaire Lewinsky était une manœuvre des compagnies pharmaceutiques et d'assurances pour miner la crédibilité du président Clinton qui voulait réformer à la canadienne le système de santé américain; que les épidémies de vaches folles sont en fait inoculées par des corporations agro-alimentaires américaines dans un prélude de guerre économique euro-américaine; et que l'engorgement des hôpitaux est en fait planifié pour que les gens s'écœurent et finissent par réclamer la venue d'un système privé, alors qu'un gouvernement tentant de l'imposer se ferait planter. Il suffit de chercher à qui profite le crime Méchant crackpot, n'est-ce pas? Sauf que, depuis, j'ai vu dans des magazines sérieux des articles qui confirmaient pas mal mes thèses farfelues dans le cas des crèmes solaires et de l'affaire Lewinsky. Essayez, vous aussi, c'est facile 0 il suffit de chercher à qui le crime profite. Et dans le cas des problèmes dans le système de santé, je viens de recevoir un dossier qui me pousse de plus en plus à prendre au sérieux la théorie du complot pour l'écoeurement des patients… Y a-t-il un médecin manquant à l’urgence ? Saviez-vous qu'alors qu'on déplore un manque de médecins partout au Québec, il y a chez nous des centaines de médecins étrangers qui n'ont pas le droit de pratiquer sous prétexte que leur diplôme, obtenu hors Canada, ne peuvent pas être reconnus ici alors qu'ils le sont par l'Organisation mondiale de la santé ? Ces médecins ont formé un groupe, l'Association multi-ethnique des médecins diplômés hors Canada, pour faire pression auprès du Collège des médecins et du ministère de la Santé. Leur slogan est 0 « Nous sommes des médecins prêts à servir ! » Et ils insistent sur le fait qu'ils sont prêts à servir en région… C'est Anne Fleishman, une journaliste scientifique d'origine française, qui a porté le dossier à mon attention. Elle a longtemps tenté de faire sortir cette affaire dans les médias mais, tannée de recevoir si peu d'attention pour cette cause, elle m'a appelé, moi. C'est vous dire si elle était désespérée… Le manque d’expérience canadienne Son dossier est d'ailleurs très étoffé et il est difficile pour le néophyte que je suis de lui rendre justice. Mais il s'en dégage une impression générale difficile à écarter. Une blague veut qu'en plein été, au Québec, vous ayez moins de chance de trouver un médecin dans un hôpital que sur un terrain de golf. Mais ce qu'on ignore, c'est qu'on aurait aussi pas mal de chance d'en trouver au volant d'un taxi ou dans les cuisines d'un restaurant exotique. Et même au bureau du BS… On leur oppose une fin de non-recevoir en prétextant le « manque d'expérience canadienne » et en multipliant les coûteux examens – dont un oral – dont les critères d'évaluation restent mystérieux. On multiplie les obstacles et les prétextes. Alors que tous déplorent le fâmeux exode des cerveaux dont le Québec paie le prix, nous nous refusons de tirer profit de celui qui se fait à notre bénéfice. En plus, ce refus détruit le moral de ces nouveaux citoyens qui doivent tout recommencer à zéro, alors qu'ils sont déjà médecins… ce qui ne facilite certes pas leur intégration. Faites confiance à Rémy ! Il y a un an, le Collège des médecins à annoncé un certain assouplissement des restrictions bureaucratiques à l'encontre de ces médecins, mais il reste encore à voir ce que ça donnera dans les faits. D'ailleurs, en janvier 2000, le ministre responsable de l'Abitibi-Témiscamingue au sein du gouvernement déplorait les « règles corporatistes étroites » du Collège des médecins qui refusait d'émettre un permis à un médecin français marié à une Québécoise alors que le couple résidait déjà à Rouyn. Ce ministre, c'était Rémy Trudel. Et il est maintenant ministre de la Santé… Je ne comprends pas le temps que prend ce dossier pour débloquer. D'abord, depuis des années, le Québec tente en vain d'inciter les immigrants à s'installer en région où il leur serait plus facile de s'intégrer à la culture québécoise en sortant des ghettos. D'autre part, les régions manquent aussi de médecins. Or, le Québec regorge de médecins immigrants qui accepteraient volontiers de s'installer en région pour pratiquer, mais on ne leur permet pas… En plus, quand on sait la mauvaise réputation médiatique que le Québec a à l'étranger en matière d'immigration, même si c'est le résultat de calomnies, j'ai du mal à comprendre que le gouvernement péquiste passe à-côté d'une telle occasion de redorer son blason… Les paranoïaques sont-ils des prophètes ? La seule explication qui tienne, c'est que la crise soit voulue et planifiée pour écœurer le monde et ouvrir la voie à la privatisation de la santé. Et croyez-moi, à ce sujet, je préférerais de loin passer pour un paranoïaque que pour un prophète. Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 19 mai 2001. |
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